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Centre Al Wava, Mauritanie

Dans une salle de classe des environs de la ville de Nouakchott, des adolescentes apprennent à lire et écrire l'Arabe. Elles suivent un programme de deux ans, au sein duquel elles reçoivent une éducation et une aide juridique dans un établissement financé par l'UNFPA, après avoir signalé des violences basées sur le genre à la police. Pour la plupart d'entre elles, il s'agit de viols. Pendant une récréation, je discute avec deux adolescentes, Mariam et Hawa - j'ai changé leurs prénoms pour préserver leur anonymat et leur sécurité. Je les avais vues assises très proches l'une de l'autre, se tenant par la main et discutant à voix basse, tout en tentant de bien tenir leurs bébés. Elles nous expliquent comment elles sont arrivées ici.

 

 

Enveloppée d'un voile (appelé Melhfa) blanc à rayures dorées, Mariam, âgée de 17 ans, a de grands yeux expressifs. Orpheline, elle vit avec ses frères et sœurs chez l'une de ses tantes. Il y a un peu plus d'un an, un voisin lui a bloqué le passage alors qu'elle apportait de la nourriture à son frère, qui était au travail. Armé d'un couteau, il lui a dit « si tu cries, je te tue ». Elle a réalisé que même si elle criait, personne ne l'entendrait puisqu'elle se trouvait dans une zone déserte et en construction. L'homme l'a violée, puis menacée: « Si tu en parles à qui que ce soit, je viendrai te poignarder. Si tu ne me crois pas, demande à ma sœur. Je l'ai poignardée elle aussi ». C'était vrai, me dit Mariam. Tout le voisinage le savait.

Mariam s'interrompt et prend la main de Hawa. Elles échangent quelques mots, puis Mariam s'installe pour allaiter sa fille, avant de reprendre son récit. Ce n'est que lors du deuxième viol par ce voisin, quelques mois plus tard, qu'elle a trouvé le courage de porter plainte.

Une femme l'avait trouvée perdue dans les rues, très confuse à cause de l'agression. Au début, les agents de police ne l'ont pas cru. Lorsque Mariam s'est rendue à l'hôpital, elle a découvert qu'elle était enceinte de cinq mois.

 

Hawa, 16 ans, porte des tons de jaune qui rappellent le désert ; elle est assise près de Mariam. Elle me raconte qu'elle a été violée par un ami de son père, un médecin qui a usé de sa position pour la convaincre que personne ne la croirait si elle le dénonçait. Elle en a pourtant parlé à sa mère, qui heureusement l'a crue. Hawa est tombée enceinte à la suite de ce viol; le médecin a reconnu son crime et a proposé de l'épouser, une option que son père aurait accueillie positivement, dans un pays où l'avenir de sa fille se trouvait désormais compromis. Elle a refusé.

« Le centre est devenu un refuge, où je me suis découvert de nouvelles sœurs. »

Hawa, qui a subi un traumatisme inimaginable, élève désormais son enfant; son père ne lui parle plus. « Le centre est devenu un refuge où je me suis découvert de nouvelles sœurs, et où j'ai oublié tous les problèmes que j'ai à la maison, notamment avec mon père », explique-t-elle. « Les travailleurs et travailleuses sociales m'aident à m'occuper de mon bébé, en particulier pour l'achat de couches, parfois de lait et de vêtements. J'espère me marier, aider ma famille et recevoir le pardon de mon père.»

 

Malgré les plaintes qui ont été déposées, les deux agresseurs sont libres à ce jour. Si la Mauritanie a progressé en matière de droits des femmes, les traditions du pays restent profondément enracinées dans des normes sociales discriminatoires.

Je m'entretiens avec Aichetou Mbarek, sage-femme et directrice du centre Al Wava, à propos des filles qui arrivent au centre. « Je dirais que la plupart d'entre elles ont environ 12 ans lorsqu'elles arrivent chez nous. Je vérifie s'il y a eu viol, tentative de viol, des coups, des blessures », explique-t-elle. « Après cet examen, je leur donne un certificat qui peut les aider dans leur parcours juridique.»

Mme Mbarek propose une contraception d'urgence lorsqu'elle en a la possibilité, mais les filles, traumatisées, menacées et conscientes que le viol peut être une cause de rejet par leur famille, signalent rarement ces crimes dans les 72 heures, ce qui est le délai d'efficacité de la pilule dite « du lendemain ». La Mauritanie n'autorise l'avortement que si la grossesse met en danger la vie de la mère, et de nombreuses survivantes de viol, n'ayant pas d'autre choix, finissent donc par accoucher.

Selon les équipes, les principales missions du centre sont d'éviter que les filles ne soient totalement rejetées par leur famille, et d'assurer qu'aucun nouveau-né ne soit abandonné dans la rue, notamment en fournissant des papiers. Les travailleuses et travailleurs sociaux tentent aussi de préparer les jeunes filles à trouver un emploi, pour construire leur avenir. Ces jeunes filles vivent dans des zones isolées et peu d'entre elles ont eu la chance d'aller à l'école; aujourd'hui, elles apprennent l'Arabe et les mathématiques.

Je demande à Mariam et Hawa ce qu'elles aimeraient faire comme travail. Toutes deux répondent qu'elles aimeraient apprendre le français, qui est couramment parlé ici, en plus de l'Arabe. Mariam aimerait travailler dans l'informatique - des cours dans ce domaine ont récemment commencé au centre, avec l'aide de l'UNFPA. Pragmatique, Hawa déclare : « je ferai n'importe quel travail qui se présente, je sais que je n'ai pas le choix. »

Alors que je regarde ces filles tenir leurs bébés, je m'interroge sur la relation mère-enfant. C'est la question la plus difficile et la plus douloureuse, et je décide de ne pas la poser. Je me répète que c'est pour les préserver, mais c'est aussi pour moi. Ce serait trop dur d'écouter leur réponse en les regardant dans les yeux.

 

Centre de santé de Chami, Mauritanie.

Dans la ville de Chami, nous rencontrons Yahdiha, une adolescente soulagée après son premier bilan gynécologique. « Ça s'est bien passé. Au début, j'avais peur. Je pensais qu'un appareil électrique pourrait me faire mal pendant l'examen », rit-elle. Puis elle redevient sérieuse, expliquant que « tout ce qui touche à la sexualité est tabou à l'école », et qu'elle n'a donc pas eu beaucoup d'informations à ce sujet depuis qu'elle est enfant. La sexualité et la reproduction ne sont pas des sujets dont on parle ouvertement dans ce pays. Yahdiha a entendu parler du centre de santé de Chami, le seul établissement de la ville qui propose des services gynécologiques, grâce à un groupe WhatsApp, l'un des canaux utilisés par l'UNFPA et ses partenaires locaux pour informer le public sur les services disponibles. L'extraction minière d'or à Chami a drainé une population d'ouvriers masculins depuis d'autres régions de Mauritanie et des pays voisins, ce qui a créé un environnement propice à l'exploitation sexuelle des femmes. Ce centre de santé est essentiel.

« tout ce qui touche à la sexualité est tabou à l'école »

Tandis que je fais une pause dans la cour baignée de soleil de l'établissement, un homme s'approche de moi. Il me prend pour une médecin et ouvre la bouche pour me montrer qu'il lui manque des dents. Je lui indique l'intérieur du bâtiment. Le centre s'occupe surtout de femmes, mais les hommes peuvent aussi y chercher de l'aide.

Quelques minutes plus tard, je discute avec Marieme Vachet, une gynécologue appelée en renfort par l'UNFPA. « // n'y a aucune gynécologue en poste ici, nous essayons donc de faire en sorte que mes visites deviennent hebdomadaires », explique-t-elle. Elle fait une pause dans son emploi du temps chargé pour me parler de son travail. D'ici la fin de la journée, elle aura vu 68 patientes, la plupart des femmes enceintes.

« Le désir sexuel est toujours tabou pour les femmes ici, alors elles me parlent plus facilement de leurs préoccupations que si j'étais un homme », me dit la Dr Vachet. Les femmes et les filles font face à de nombreux obstacles en Mauritanie. Ici, le taux de mariage d'enfants est très élevé : à 18 ans, 37% des filles sont déjà mariées. Les mutilations génitales féminines, une pratique néfaste qui consiste à altérer ou léser les organes génitaux des femmes pour des raisons non médicales, persiste toujours. Cette pratique « provoque des douleurs pendant les rapports sexuels, des infections et des complications au moment de l'accouchement », déplore la Dr Vachet. « Toutes les femmes ayant subi des MGF sont envoyées à Nouakchott. « Nous ne pouvons pus prendre de risque ici.»