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Soigner, écouter et protéger, le rôle vital d’une sage-femme humanitaire face aux violences basées sur le genre

Soigner, écouter et protéger, le rôle vital d’une sage-femme humanitaire face aux violences basées sur le genre

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Soigner, écouter et protéger, le rôle vital d’une sage-femme humanitaire face aux violences basées sur le genre

calendar_today 07 Mai 2025

Aichetou Diaw,  Sage femme humanitaire UNFPA MAURITANIE
Aichetou Diaw, Sage femme humanitaire UNFPA MAURITANIE

Dans les zones les plus reculées de la Mauritanie, du Guidimakha au  Hodh Echagui, au cœur des urgences sanitaires et sociales, une voix déterminée se confie : celle d’Aichetou Djiby Diaw, sage-femme humanitaire, spécialisée dans la prise en charge des violences basées sur le genre (VBG). Si ce métier n'était pas son choix initial, il est rapidement devenu sa vocation profonde — et aujourd’hui, sa mission humanitaire.

Encouragée par sa famille à intégrer l’École nationale de la santé publique de Nouakchott, Aichetou mène d’abord ses études de sage-femme à “contrecœur”, tout en poursuivant en parallèle sa formation universitaire. Mais très vite, la réalité du terrain la rattrape.

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Aichetou raconte que son stage de deuxième année s'est déroulé dans un contexte de grave pénurie de personnel. Elle se souvient vivement de son premier accouchement : une femme d'une trentaine d'années. Utilisant ses apprentissages théoriques, elle a cherché à lui apporter du réconfort. La satisfaction de voir la patiente soulagée, donnant naissance à un garçon (avec l'intention de l'appeler Aichetou si c'était une fille), a été immense et motivante. C'est à cet instant précis qu'une question a germé en elle – combien d'autres femmes dans le besoin attendaient son aide ? – marquant le début de sa prise de conscience professionnelle.

Fort de cette première expérience marquante, son chemin était tracé. Son entrée dans le monde du travail s'est faite par la porte de l'humanitaire, une immersion intense et une source d'humilité. C'est en 2018 qu'Aichetou a rejoint une ONG internationale pour une mission dans le Guidimakha, une région enclavée du sud de la Mauritanie. Elle devait y soutenir les structures de santé en palliant le manque de sages-femmes pour les activités de santé sexuelle et reproductive, la gestion de la maternité et le suivi des protocoles nationaux de santé. "Je m'attendais à partager mon expertise, mais j'ai été frappée de voir l'autonomie dont ces agents de santé faisaient preuve au fin fond de la Mauritanie, et ce, avec des moyens dérisoires. Ce fut une leçon d'humilité," confie-t-elle.

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Aichetou a ensuite gravi les échelons pour devenir superviseur, coordonnant les activités de la clinique mobile, notamment la vaccination de routine et la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère. Elle était spécialement chargée de rendre accessible un ensemble de soins en santé sexuelle et reproductive (SSR) au cœur des communautés isolées de la wilaya du Guidimakha. Ses déplacements constants à travers les zones rurales lui permettaient d'offrir des services de santé reproductive, de vaccination et de soutien nutritionnel. Mais ce qui a le plus touché Aichetou, c'est la dimension humaine de ces rencontres.

« Je ne parlais pas un mot de soninké, la langue locale. Pourtant, grâce au respect et à la bienveillance, un lien s'est établi. Ces communautés m’ont appris que la pauvreté est toute relative. Leur richesse humaine, leur courage, leur sens du partage m’ont marqué»

En tant que sage-femme humanitaire, je me retrouve en première ligne pour soigner et restaurer la dignité de personnes en situation de détresse. Qu'il s'agisse de conflits, de catastrophes ou de déplacements de populations, je joue un rôle crucial pour réduire la surmortalité et la surmorbidité des femmes enceintes et des nouveau-nés. Je suis là pour sauver des vies, même dans des conditions extrêmement difficiles. Ma présence est un lien essentiel entre les plus vulnérables et les soins de santé, portant en elle l'espoir, la dignité et l'humanité au cœur de l'urgence.

C'est sur le terrain que je suis devenue la “sage-femme humanitaire” que je suis aujourd'hui. Mon rôle ne se limite pas aux soins cliniques : je participe à la sensibilisation des communautés, au renforcement de leur résilience et à la défense du droit des femmes à des soins de qualité. Je m'investis également dans la prévention et la prise en charge des violences basées sur le genre, en offrant soutien, orientation et les premiers soins médicaux aux femmes qui en sont victimes.

Forte de son expérience, Aichétou a intégré la clinique mobile de l’UNFPA en octobre 2024, afin d’apporter ses services aux communautés hôtes ainsi qu’aux réfugiés maliens de la région du Hodh El Chargui.

C’est à Kinjerla, une localité située à 15 km de Fassala, à la frontière avec le Mali, que nous l’avons rencontrée, en pleine activité, prenant soin d’une longue file de femmes.

Être sage-femme spécialisée dans la prise en charge des cas de VBG (violences basées sur le genre) ne se résume pas à soulager les souffrances physiques, explique Aichétou :

«C’est aussi tenter de comprendre la détresse émotionnelle dissimulée derrière un silence ou un sourire forcé, car cela affecte profondément la santé de la femme. »

Elle poursuit :

«J’accorde une attention particulière à ces femmes, souvent victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, que ce soit de la part d’inconnus, de leurs partenaires ou même de leur belle-famille. Avec mon équipe, nous sommes un point d’ancrage pour ces femmes et ces filles. Nous leur offrons bien plus que des soins médicaux : une écoute, une protection, un espoir».

Malgré les contraintes et les longues distances, Aichetou reste engagée et résolue. Qu’est-ce qui la porte ? La conviction profonde que chaque geste, aussi modeste soit-il, peut faire toute la différence.

Malgré les contraintes, les longues distances, Aichetou reste engagée. Qu’est ce qui la motive ? La conviction profonde que chaque geste, aussi modeste soit-il, peut faire toute la différence. “J’ai acquis beaucoup d'expériences que je mets aujourd’hui en pratique. Je détecte, j’accompagne j'oriente les survivantes de violences… Un simple sourire rendu vaut plus que mille récompenses”

AICHETOU

Parmi les expérience les plus marquantes de sa carrière à l’UNFPA, Aichetou cite le cas d'assistance à une femme réfugiée en situation de grande vulnérabilité lors d’une des sorties de la clinique mobile. Elle raconte : “ l’équipe a été sollicitée par une famille réfugiée accompagnée de leur fille, une jeune femme de 17 ans, présentant un handicap physique et mental, ainsi qu’un état général de santé fortement dégradé. Après une première évaluation et stabilisation sur place, j’ai jugé nécessaire de procéder à son transfert au centre de santé de Fassala, où elle a été admise en hospitalisation.

Les premiers éléments recueillis ont révélé un contexte hautement traumatique. D’après le témoignage du père, la jeune femme a survécu à une série d’événements particulièrement violents dont la mort de sa maman, et l’enlevement de ses enfants par son ex mari . Le village dont elle est originaire aurait été à plusieurs reprises visité par des hommes armés. À chaque incursion, les habitants prenaient la fuite pour se mettre à l’abri. En raison de son handicap physique et mental, la jeune femme était dans l’incapacité de fuir comme les autres, ce qui l’a laissée seule et exposée à de graves violences.

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Nous avons procédé à un examen approfondi à la recherche de signes d’agression sexuelle, ainsi qu’à une évaluation de la possibilité d’une grossesse, qui s’est heureusement révélée négative. La patiente a ensuite été suivie par l’équipe et j’ai pu établir un lien de confiance avec elle. Un net apaisement a été observé au cours de l’entretien du soir après un long sommeil au centre de santé de Fassala.

Dans le cadre de l’approche holistique de prise en charge, la jeune femme a beneficié d’un appui psychosocial et a été inscrite au programme de transferts monétaires (cash transfer) afin d’apporter un soutien économique à sa famille. J’ai recommandé à ses parents une vigilance particulière. Toutefois, malgré les conseils prodigués,  les parents ont exprimé le souhait de retourner à Nere un village situé à quelques km de Fassala en promettant toutefois d'être plus vigilants et de revenir au besoin.

Ce cas qui m’a beaucoup marqué illustre l’importance de l’intervention dans les zones à accès limité, ainsi que la nécessité de renforcer les mécanismes de protection et de suivi psychosocial pour les femmes et jeunes filles en situation de détresse.